Par Jean-Pierre ESTIVAL – L’Harmattan – 264 pages
Aucune nation ne peut se passer de gaz naturel.
Sur ce besoin universel où se rencontrent rareté et appétit de consommation insatiable, l’économie et l’écologie se rencontrent, se confrontent, en portant en elles d’inéluctables contradictions entre visions de court et le long terme. Il en résulte des tensions permanentes dont l’actualité se fait régulièrement l’écho. :
Les pays défavorisés du Levant veulent augmenter leurs maigres ressources en s’appropriant entre autres le maximum de richesses gazières off-shore, ce qui entraine, pour leur partage, des conflits entre États voisins : la Grèce et la Turquie sont en état de guerre larvée, Israël et le Liban n’ont plus de relations diplomatiques et Chypre s’est vue imposer un ETAT Chypriote indépendant..
L’Égypte appuyée par l’Arabie saoudite et les Émirats Arabes s’oppose de toutes ses forces à l’hégémonie turque qui profite de son coté du soutien financier du Quatar . L’épicentre de ce jeu géopolitique du partage de la mer et du gaz en méditerranée se situe bien évidemment en Turquie et dans les pensées du Président Recep Tayyip Erdogan, « véritable Talleyrand des affaires internationales », étendant sa toile sur tout l’Orient, jouant de façon assumée la Russie contre l’Amérique et réciproquement, avec le risque pour l’Europe d’apparaître in fine comme le grand dupe de cette « guerre tiède »…..
Dans ce nouvel essai, très documenté, Jean-Pierre Estival, devenu spécialiste reconnu de ces aspects géopolitiques, propose une analyse lumineuse de ces grandes manœuvres. L’auteur souligne particulièrement la volonté de la Turquie d’anéantir le projet de gazoduc Eastmed, envisageant même de proposer la paix à Israël en lui proposant une autre liaison, plus rentable, en même temps qu’un pacte anti-Iran !
Erdogan ne craint pas non plus de se rapprocher de l’Arabie saoudite en l’aidant au Yémen. Du coup, la Syrie revendique aussi sa part du gâteau gazier dont on peut craindre l’usage qu’elle en ferait. C’est tout dire de la détermination du Président turc et du peu de cas qu’il fait de la puissance européenne, en lui opposant son autonomie stratégique.
L’UE et l’OTAN ont donc capitulé face à « l’empire turc nouveau ». Dans ce contexte, la Russie risquant par ailleurs de devenir un acteur énergétique majeur au Levant, les tensions dont la Turquie est globalement à l’origine, ne peuvent que s’amplifier et, la guerre, hier froide, devenue tiède, pourrait dégénérer à nouveau et embraser tout l’Orient.
Le grand mérite de Jean pierre Estival est de lever courageusement le voile sur ces manœuvres et ces conflits dits « gelés » pour lesquels hélas aucune solution ne parait se faire jour, montrant que dans les faits se dessine un nouvel ordre mondial proche de l’ancien ordre colonial… sauf que les puissances coloniales ne sont plus les mêmes qu’avant.
Très instructif… pour tous publics.
Jean-Pierre ESTIVAL, politologue et économiste, docteur d’État, diplômé de plusieurs écoles européennes. Auteur de nombreux ouvrages, spécialiste des ex-pays PECO. Nominé pour le prix Turgot 2019.