Dans le début de cet été caniculaire, une nouvelle parution (1) de l’un de nos plus grands démographes nationaux, Hervé le BRAS s’annonce déjà comme un futur grand « classique », au même titre que purent le prétendre, «la Société de défiance » (Ulm) de nos amis les économistes Algan et Cahuc en 2008, ou « l’ Economie du bien commun » (Puf 2016) de Jean TIROLE.
En effet, chacun de ces essais a su mettre en lumière les fractures de «notre doux et beau pays », les racines du «mal-être d’une France, profondément étatique (l’arbitrage de l’Etat est en permanence exigé par les acteurs) et, corporatiste (les droits sociaux dépendants largement du statut ou de la profession) .
La France reste bien installée, en tête des pays où la méfiance envers les acteurs et les institutions est la plus élevée et, où l’écart entre la perception de la situation individuelle (ressentie comme durablement médiocre par le plus grand nombre) et celle du pays (plutôt confortable) est abyssal…
Telle est la «situation paradoxale» de notre France que Hervé Le BRAS s’ attache à analyser, sans prendre parti, mais avec l’acuité du regard de son exceptionnelle expertise : une lecture fine des sondages et des études disponibles, de l’examen méticuleux des faits eux-mêmes, dépollués de l’imaginaire qui les accompagne, en les comparant aux résultats des différents pays européens. Partant du constat que la France est l’un des pays le plus égalitaire en Europe et dans le monde, l’un de ceux qui procède à la plus large redistribution sociale (15% de la totalité au plan planétaire !!!) , l’ auteur s’interroge à nouveau et légitimement sur les raisons (de sociologie politique notamment) de cette contradiction entre l’état réel et objectif du pays – bon-, (attractivité forte, baisse du chômage, soutien du pouvoir d’achat par l’endettement – excessif ? – de l’Etat etc.. ) et le sentiment subjectif, pessimiste, le «ressenti » largement négatif de nos concitoyens …
Ainsi pour l’ auteur, notre pays est dans une situation proche de ce que l’on peut espérer de mieux, eu égard à notre potentiel de production de richesses (sans rentes..) et de compétitivité mondiale, avec des inégalités de surcroît qui n’ont que peu augmenté et où la pauvreté est l’ une des mieux contenues .
D’évidence, ces propos dénotent dans un contexte où « Gilets jaunes » et autres Râleurs impénitents s’en donnent à cœur joie.
Mais cette « France malheureuse » dans laquelle s’identifient particulièrement les villes et les classes moyennes, confortées dans leur sentiment par une large partie de la classe politique d’opposition, devrait pouvoir aussi se regarder en face …Se demander notamment si sa tendance naturelle vers une forme d’ignorance (volontaire ou culturelle) des réalités économiques , forme parfaite de l’irresponsabilité, n’est pas de nature à expliquer un malaise français plus général. Comme si :
« … L’important paraissait de moins en moins, ce qui est, se mesure ou se constate, mais seulement ce que l’on croit, craint ou rêve… ».
Jean Louis Chambon Président du cercle TURGOT
Hervé le BRAS, démographe , auteur, et chercheur émérite (ined)
(1) « Se sentir mal dans une France qui va bien », Editions de l’Aube.