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Point de vue des économistes

Grèves : quels coûts pour la France ?

Comme cela était malheureusement prévisible, nous re-voilà donc dans un cauchemar qui se rapproche de plus en plus de celui de 1995 : incertitude, attente sur les quais, entassement dans des rames bondées, agressivité des usagers, embouteillages monstres aux abords et au sein des grandes villes, mais aussi baisse de l’activité, commerces désertés, retard dans les livraisons, baisse du moral des ménages et des chefs d’entreprise…

Autrement dit, si l’on voulait casser le peu de croissance qui existe encore dans l’Hexagone, on ne se serait pas pris autrement.

Sans vouloir polémiquer, rappelons simplement qu’un jour de grève nationale représente un coût proche de 2 milliards d’euros, notamment au travers des effets négatifs qu’elle suscite en termes de consommation des ménages et d’activité des entreprises dans l’industrie et les services.

Cette estimation du coût de la grève s’opère comme suit : le PIB français de 2017 est de 2 289,5 milliards d’euros, chaque jour ouvré représentant un PIB d’environ 9,2 milliards. On peut globalement estimer que le coût d’une grève forte représente environ 15 % d’activité en moins au niveau national (dans le commerce, cela peut même atteindre voire dépasser les 40 %), soit un coût d’environ 1,38 milliards d’euros. Autrement dit, si l’on estime que le coût économique nationale d’une journée de grève se situe entre 1 et 1,5 milliard d’euros, nous sommes vraisemblablement proche de la réalité.

Dans ce cadre, nous anticipons que, si les mouvements de grève se poursuivent et a fortiori se généralisent (n’oublions pas que la SNCF, Air France, les contrôleurs aériens, les éboueurs font déjà partie de la « fête »), la variation du PIB français au deuxième trimestre sera proche de 0 %, et ce après une croissance d’environ 0,2 % au premier trimestre.

Autrement dit, si l’acquis de croissance pour 2018 était de 0,9 % en début d’année, la progression effective du PIB français sur l’ensemble de l’année ne devrait pas excéder significativement 1,4 %. Et ce, en faisant l’hypothèse (optimiste ?) que les mouvements de grèves actuels s’arrêteront assez rapidement. Car, si tel n’est pas le cas et que le blocage de l’économie française s’éternise, une baisse du PIB pourrait s’imposer au deuxième trimestre 2018.

Bien entendu, lorsque la grève se termine, un effet de rattrapage de la baisse d’activité passée s’opère mais cette compensation n’est que partielle. En outre et surtout, le véritable coût de la grève réside dans l’affaiblissement de la confiance de l’ensemble des acteurs économiques du pays, ce qui aura cette fois-ci un impact durable sur la croissance nationale.

Le degré de déprime et de décélération de l’activité est évidemment proportionnel à la durée de la grève, mais aussi à l’issue de cette dernière. Ainsi, si le gouvernement lâche du lest, cela amènera d’autres corporatismes à vouloir, eux aussi, bloquer le pays pour obtenir satisfaction. Dès lors, on risque d’observer une multiplication des mouvements sociaux un peu partout dans l’Hexagone. De plus, si le gouvernement cède, il infirme la stratégie de « rupture » sur laquelle Emmanuel Macron a été élu.

Aussi, à côté des drames humains que toute cette décroissance va produire, le retour des grèves pour des raisons aussi banales que la réforme inévitable de la SNCF va encore nuire à la crédibilité de l’économie française en matière de capacité à se réformer. Essayez par exemple d’expliquer à un Allemand, à un Anglais, à un Italien ou encore à un Grec ou à un Espagnol, qui n’a cessé de faire des réformes depuis des années presque sans rechigner, que les Français refusent encore de moderniser leur économie. Essayez de lui expliquer comment une petite frange de la population peut paralyser un grand et beau pays comme la France pour le simple motif qu’il ne faut pas toucher à ses petits avantages. C’est perdu d’avance…

Il faut se rendre à l’évidence : nos voisins européens, qui ont tous fait énormément d’efforts et de sacrifices depuis 2008, ne nous comprennent plus et ne sont plus prêts à accepter les dérives françaises. Il est donc grand temps de parler vrai et de responsabiliser nos concitoyens : en temps de crise, tout le monde doit se retrousser les manches et personne ne doit l’en empêcher. La liberté s’arrête là où commence celle des autres. Et ce, en particulier dans une économie exsangue, toujours proche de la banqueroute, en dépit des apparences.

C’est là tout le dilemme de l’économie française : il faut la réformer massivement pour qu’elle se redresse vraiment et durablement, mais la moindre réformette génère des mouvements de grèves qui grèvent à leur tour une croissance déjà très molle et incitent par là même les dirigeants du pays à céder aux pressions.

Il n’existe donc qu’une seule solution : engager une vraie et profonde rupture qui certes générera des mouvements sociaux mais qui permettra à l’économie française de nettement se reprendre une fois les grèves passées. Car la grève actuelle finira forcément par prendre fin, mais lorsqu’elle sera terminée la France sera toujours très loin d’être réformée en profondeur, notamment en termes de poids exorbitants de la fiscalité et des dépenses publiques, qui sont évidemment bien plus pénalisants et déterminants que la retraite à 50 ans de certains cheminots.

Pour éviter que l’Hexagone retombe dans l’immobilisme et la léthargie économique, il faut donc absolument arrêter la démagogie et devenir enfin responsable. Il ne s’agit pas simplement d’un problème de bras de fer entre le gouvernement et les syndicats, mais de l’avenir de nos enfants…

À propos de l'auteur

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Marc Touati est Président Fondateur du cabinet ACDEFI. Depuis 2009, Marc Touati est également un écrivain à succès, avec cinq best-sellers, dont le dernier, sorti en septembre 2016, « La fin d’un monde » (Editions Hugo&Cie). Depuis 2007, il est aussi expert APM (Association Progrès du Management) et dispense ainsi des conférences pour les chefs d’entreprise adhérents à l’APM en France et dans le monde. Depuis 2001, il est maître de conférences à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et dispense des enseignements dans plusieurs Universités et Grandes Ecoles. De juin 1997 à janvier 2007, il a été directeur de la recherche.
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