Langue française

Dix-sept mille trois cent vingt-deux

Si l’on voulait montrer que la langue française n’est pas toujours un modèle de clarté, on ne saurait mieux choisir que la numérotation.

Rappelons, par exemple, que l’on emploie et seulement en dessous de cent, pour les dizaines donc, et seulement avec l’unité ? Vingt et un, mais vingt-deux et cent un.

Il en est de même, à l’écrit, pour l’emploi du trait d’union. La règle en est un modèle de complexité : on joint d’un trait d’union les nombres qui sont l’un et l’autre inférieurs à 

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Vive septante !

Curieuse variété de français, que celle de France, censée illustrer (voire dicter) le « bon usage ». Elle utilise tour à tour la numération décimale (par dix : 10, 20, 30, 40, 50, 60), vicésimale  (par vingt : quatre-vingts), et un mélange des deux (soixante-dix, quatre-vingt-dix).

L’emploi de la numération vicésimale est dû, pense-t-on, à une influence gauloise : nos « ancêtres les gaulois » comptaient par vingt. Il est de fait que cet usage était des plus fréquents dans l’ancienne langue. En 1260 Saint-Louis fonde un hôpital pour trois cents chevaliers revenus aveugles de la croisade : c’est l’hôpital parisien des Quinze-vingts.

Le maintien partiel de cet usage ancien en français moderne présente de nombreux défaut : il est lourd, malcommode et ambigu. Si vous dictez « 75 » à une personne, elle commencera par écrire un 6, qu’il lui faudra corriger aussitôt.

Les variantes belge et suisse ont généralisé les formes septante et nonante, possibles mais minoritaires en ancien français ; on entend également huitante, voire octante

Voilà qui est sage. C’est un emploi cohérent et naturel de la numération décimale : dix, vingt, trente, quarante, cinquante, soixante, septante, huitante, nonante, cent.

Nos proches cousins Italiens ne disent-il pas cinquanta, sessanta, settanta, ottanta, novanta ?

Qu’attendent les locuteurs de France pour s’y mettre ?

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Le cas échéant

Afin de comprendre l’emploi de la locution figée le cas échéant, il convient de reprendre les choses d’un peu plus haut. Le latin cadere a donné le verbe français choir, d’usage courant dans l’ancienne langue : il signifiait « tomber ». Pratiquement éliminé par ce dernier verbe, il ne subsiste plus qu’à l’infinitif   (elle m’a laissé choir), et surtout en composition.

On connaît le verbe déchoir, qui signifie « tomber dans un statut inférieur » : on peut accepter sans déchoir ; il est déchu de ses fonctions.

Le verbe échoir est plus rare, et plus technique ; il appartient notamment au lexique du notariat et signifie : « qui advient par l’effet d’une loi ». Albert Camus écrit : un petit héritage lui échut qui venait de sa sœur. D’où l’emploi de ce verbe à propos d’une dette ou d’un règlement qui arrive à sa date : le terme est échu depuis deux mois ; c’est une échéance.

On arrive ainsi au participe présent du verbe échoir qui signifie « qui arrive à son terme », et plus généralement « qui se présente ». On comprend par suite la locution le cas échéant. Elle signifie « si le cas, c’est-à-dire l’éventualité, l’occasion se présente » : nous étudierons, le cas échéant, la réponse à donner ; nous modifierons, le cas échéant, notre stratégie.

Le cas échéant signifie donc de façon figée : si le cas échoit, dans l’éventualité où il échoirait, pour le jour où il échoira. Mais, notons-le, on n’y met pas de grande conviction : sans doute ne désirait-on pas vraiment que le cas échût.

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Exclu et inclus

 

 

Voilà une des singularités de la langue française (rassurons-nous, elle n’en manque pas) : si l’on rapproche exclu et inclus, on doit convenir que c’est le premier qui est anormal.

Commençons par inclure. Il provient du latin includere, formé sur claudere, « fermer ». In-claudere c’était donc « fermer à l’intérieur ». Son participe passé était inclusus, qui a donc normalement donné en ancien français inclus. L’s final est donc régulier.

Il l’est également dans des mots apparentés comme reclus et perclus : percluse, elle était recluse.

J’ajouterai que c’est s final était également naturel dans exclus. Ce verbe provenait du latin excludere, c’est-à-dire, on l’a compris, « enfermer à l’extérieur ». L’ancienne langue mettait un s final à exclus, dont le féminin était excluse, forme que l’on rencontre encore chez Racine et La Fontaine.

Alors, que s’est-il passé ? Eh bien perclus, reclus, qui n’étaient plus sentis comme des participes passés mais comme des adjectifs, ont gardé leur forme ; inclus utilisé principalement dans la locution ci-inclus, a fait de même.

En revanche exclu, toujours considéré comme le participe passé d’exclure a été refait sur le modèle des participes ordinaire en –u : perdu, vendu, etc.

Exclu est donc atypique parce qu’il est le participe passé bien vivant d’exclure. C’est comme ça.

Voilà donc pourquoi les taxes sont incluses, et toute protestation exclue.

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Dispendieux et somptuaire

 

 

Dispendieux se répand comme une traînée de poudre. Pourquoi utilise-t-on un tel adjectif ? Tout simplement parce qu’il fait chic, et semble par sa forme évoquer le luxe : un train de vie dispendieux, des repas, des plaisirs dispendieux. C’est le type même de mot savant, que l’on croit noble et qui est seulement cuistre. On l’a calqué au XVe siècle sur le latin dispendiosus, issu du nom dispendium  « la dépense », dérivé du verbe dispendere « dépenser ». Signifiant « qui occasionne de grands frais », il est synonyme de cher, onéreux, coûteux, voire ruineux, que l’on doit largement lui préférer.

Ce snobisme lexical est d’autant plus regrettable quand il est erroné. Un bon exemple en est l’adjectif somptuaire que l’on entend également beaucoup : une dépense somptuaire. Un tel emploi est un pléonasme.

Car somptuaire et un terme de droit qui signifie « relatif à la dépense luxueuse ». On parle seulement de loi, d’impôts ou de taxes somptuaires. Le terme a été calqué au XVIe siècle sur le latin juridique sumptuaria, de sumptus « la dépense, le frais ». Il s’agit à l’évidence d’une confusion fâcheuse avec somptueux, emprunté au latin sumptuosus, autre dérivé de sumptus. Somptueux signifie « qui résulte de grandes dépenses » : un luxe, un décor, un repas somptueux.

Négligez dispendieux et somptuaire, au profit de coûteux, onéreux, fastueux, luxueux, somptueux, magnifique, splendide, superbe. Vous pourrez, sans craindre le ridicule, varier votre vocabulaire, – à peu de frais.

 

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