Langue française

Affaire

Le mot affaire jouit d’un sémantisme étonnamment vaste ; cela tient sans doute à son étymologie : « ce que l’on a à faire ».

Et ce que l’on doit faire, en français, c’est d’abord l’amour. La signification sentimentale du mot affaireest attestée dès le Moyen Âge, époque où le mot est passé à l’anglais, lequel a gardé ce sens : an affair, au singulier, c’est une liaison.

Toutefois, au risque de froisser l’orgueil francophone, je dirai que cette valeur amoureuse a pratiquement disparu aujourd’hui, au profit d’une multiplicité d’emplois,

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Langue française

Finaliser

Ne craignons pas d’être un peu puriste ; à bon escient du moins.  Je n’aime pas, mais alors pas du tout, l’emploi actuel du verbe finaliser : « L’accord a été finalisé », c’est-à-dire qu’il a été bouclé et conclu.

Le verbe finaliser est apparu au début du XXe siècle, dans la langue philosophique. Il est formé sur le mot fin, au sens de but. C’est la signification que l’on rencontre dans : parvenir à ses fins, afin que et la fin justifie les moyensFinaliser signifie donc : « assigner un but ». On peut dire, par exemple, que la vie humaine est finalisée par la recherche du bien public, l’angoisse de la mort, ou autre. On finalise un projet, une politique, un mécanisme. D’où les emplois techniques : la finalisation d’un dispositif. Logiciel finalisé pourrait à mes yeux remplacer avantageusement le très mauvais logiciel dédié.

Que s’est-il passé ? Le verbe anglais to finalize, quant à lui, est formé sur final « final » ; il signifie « mettre au point, achever ».  À l’évidence cette signification contamine actuellement le verbe français.

On va me dire que finaliser n’est plus rattaché à fin mais désormais à final et qu’il n’y a pas de quoi s’émouvoir. Je n’en démords cependant pas, et refuse cet anglicisme. Les mots ne manquent pas en français : on boucle une affaire, on met au point un dossier, on met la dernière main à un texte. En revanche la langue française a besoin d’un verbe signifiant que l’on donne du sens à une action : on la finalise.

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Décade et décennie

Ne craignons pas d’être un peu puriste ; à bon escient du moins.

Je n’aime pas, mais alors pas du tout, que l’on confonde la décade et la décennie.

La seconde est transparente ; on n’y entend le mot latin annus, c’est-à-dire l’année. Une décennie est une durée de dix ans.

Les choses sont moins claires, il est vrai, avec décade. Contrairement à ce que l’on pense, celle-ci ne provient pas du latin dies, « le jour ». Le mot fut emprunté au XIVe siècle au bas latin decada, adaptation du grec dekados, et signifiant comme lui « dizaine ». De fait, jusqu’au XVIIIe siècle, décade peut désigner une période de dix ans, de dix mois, de dix jours. C’est la Révolution française qui va fixer le terme dans ce dernier sens. En effet la Convention, adoptant en 1793 un nouveau calendrier, appelé « républicain », introduit la décade : cette nouvelle semaine comporte dix journées, la dernière étant le décadi (comme lundimardi etc.).

Le sens de décade s’est depuis fermement établi : à la banque, un relevé décadaire d’un compte s’effectue tous les dix jours.

L’anglais decade, qui reste conforme à l’étymologie, signifie aussi, et le plus souvent, « période de dix années ». À l’évidence cet emploi est en train de contaminer le mot français.

Il faut, je crois, résister à cet anglicisme ; pour deux raisons. D’une part il est commode de disposer en français de deux mots, signifiant respectivement les deux durées. Ensuite, en hommage à l’esprit rationnel de la Révolution française, qui nous a donné le litre, le kilomètre, et une semaine de congés de … dix jours.

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Saboter

Dans la trame des mots de la langue courante s’aperçoit l’image de la société ancienne. Prenez les mots saboter et sabotage ; pense-t-on, en les employant, au mot sabot ?

Ils proviennent pourtant de cette chaussure rudimentaire faite de bois. Saboter a signifié, tout naturellement, « fabriquer des sabots » ; le sabotage était alors synonyme de saboterie. Plus intéressant saboter a eu le sens de « faire du bruit avec ses sabots », puis de « marcher lourdement, grossièrement ».

Au sabot s’associe l’idée de naïveté rurale (avoir les deux pieds dans le même sabot), voire de rusticité épaisse (jouer comme un sabot). On comprend que le verbe ait pris, au début du XIXe siècle, la signification d’accomplir maladroitement sa tâche.

C’est à la fin du XIXe siècle qu’une intention maligne apparaît dans le terme. On relève dans le Père peinard, journal révolutionnaire, en date du 19 septembre 1897 les mots saboter et sabotage, au sens de « destruction clandestine du matériel de l’entreprise ».

Certains historiens de la langue ont imaginé des ouvriers lançant leurs sabots dans la machine, ou des « canuts » endommageant ainsi leur métier à tisser. Cette explication romanesque a le seul défaut de manquer de preuves. L’histoire sociale ne nous fournit aucun exemple d’un tel « sabotage », qui aurait justifié l’expression.

Il faut à mon avis partir de l’emploi courant de saboter au sens de « gâcher, bâcler son travail ». Il était facile à la pensée révolutionnaire d’adjoindre une intention délibérée à ce sabotage.Restons prudents. La recherche étymologique est passionnante, elle excite l’imagination. Mais elle ne doit pas procéder avec de gros sabots.

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Prescription et proscription

Il importe de ne pas confondre la prescription et la proscription.

Le premier est lié au verbe prescrire. Ce dernier provient du latin praescribere, de prae « devant » et scribere « écrire », c’est-à-dire « écrire en tête, mentionner d’avance ». Le verbe prescrire possède deux sens principaux. Tout d’abord, « écrire d’avance » a signifié « libérer quelqu’un d’une obligation au-delà d’un certain temps ». Il peut s’agir d’une dette ou de la possibilité d’être condamné. D’où le sens encore actuel de prescription : on ne peut le mettre en examen, car il y a prescription. D’autre part, « écrire en tête » signifie « ordonner expressément » : la prescription est « ce qui est ordonné », principalement par un médecin.

Proscrire, quant à lui, est issu du latin proscribere, de pro « avant » et scribere. À l’époque romaine proscribere signifiait « mettre un écrit au-devant des yeux, publier par une affiche » et plus précisément « annoncer par affiche la confiscation des biens d’un condamné ». Proscrire a hérité de ce sens technique, puis à partir du XVIIe siècle, il a signifié « chasser quelqu’un » C’est alors un proscrit, victime d’une proscription. Dans la langue usuelle proscription désigne aujourd’hui l’interdiction : proscription d’un mot ou d’un usage.C’est bien là que le bât blesse Dans leurs emplois les plus fréquents, prescription signifie ce que vous ordonne un médecin, proscription ce que vous interdît la grammaire. On voit l’intérêt de ne pas les confondre…

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