Le verbe latin stare, « se tenir debout », a donné l’ancien français ester, de même
sens. Ce verbe a connu un double destin dans la langue française.
Tout d’abord, il est venu, si j’ose dire, servir de béquille au verbe être.
L’imparfait du verbe esse, « être », se conjuguait en latin : eram, eras, erat, etc.
Ce paradigme a donné un très ancien français ere, eres, ert, etc. Ces formes
étaient sans doute trop brèves, trop proches également de la conjugaison du futur
(er, ers, ert, issu de ero, eris, erit ; ce dernier paradigme fut également refait, en
serai, seras, sera). Toujours est-il que l’imparfait étymologique du verbe être a
rapidement disparu, remplacé par l’imparfait du verbe ester : estoie, estoies,
estoit, etc. Depuis début du XIXe siècle on écrit : j’étais, tu étais, il était, etc.
Quand on conjugue le verbe être à l’imparfait, on utilise donc, sans le savoir, les
formes du verbe ester. Il en est de même pour les participes passé (été) et
présent (étant).
Par ailleurs, ester était courant dans l’ancienne langue, au sens de « se tenir,
demeurer, rester ». Il a survécu en français moderne, mais dans un emploi très
particulier. La langue juridique, dont on sait combien elle est conservatrice,
utilise l’expression ester en jugement, ou en justice. Elle signifie : « soutenir une
action devant un tribunal » ; elle est synonyme d’intenter ou de poursuivre. Le
Code civil de 1804 disposait que « la femme ne peut ester en jugement sans
l’autorisation de son mari », disposition heureusement abrogée depuis.
Ester ne s’emploie plus qu’en locution et à l’infinitif. Le code forestier, quand il
traite du bois mort, distingue le bois en estant (sur pied) du bois gisant, qui
n’ouvre pas les mêmes droits d’usage. Sauf le respect que je dois aux éminents
juristes, cet emploi du verbe ester, c’est un peu du bois mort lexical.