Si, le 2 octobre, les électeurs irlandais se sont très majoritairement prononcés pour le « oui » au traité de Lisbonne – après lui avoir dit « non » en juin 2008 -, il serait quelque peu exagéré d’y voir une « victoire de l’Europe », comme l’on fait certains commentateurs. Car cette inversion du résultat , loin de traduire une adhésion positive à un projet européen partagé, consacre au contraire la légitimité d’un « exceptionnalisme » national, d’une sorte d’Union européenne à la carte.
Pour faire gagner le « oui », le Conseil européen et le gouvernement de Dublin avaient ciblé leurs promesses (maintien de l’interdiction de l’avortement, « droit » au dumping fiscal) sur la fraction la plus conservatrice de l’électorat de la République. Ils avaient par ailleurs pris des libertés avec le traité lui-même en garantissant la nomination d’un commissaire irlandais. Force est également de constater que, dans le contexte de crise économique et sociale sans précédent que traverse l’Irlande, les perspectives d’aide financière de la Commission et l’engagement massif des milieux d’affaires, en premier lieu celui des grandes entreprises (Ryanair, Intel) et de l’ensemble des médias ont été décisifs.
De ce point de vue, les électeurs ont davantage voté pour une « Europe qui protège » que pour le principe de la « concurrence libre et non faussée ». Ce faisant, ils sont plus proches des conceptions que proclame Nicolas Sarkozy que de celles de la Commission, de la Banque centrale européenne et de la plupart des gouvernements des autres Etats membres. L’enjeu de ce référendum était tel que ces derniers ont tous fermé pudiquement les yeux sur le caractère contradictoire des arguments des partisans du vote « oui » : le beurre de la spécificité nationale et l’argent du beurre communautaire.