Les relations entre les Etats-Unis et la Chine sont celles d’un couple condamné à s’entendre, chacun de ses membres ayant beaucoup plus à perdre qu’à gagner en cas de rupture. Du moins pour le moment. Pékin assure les fins de mois de Washington en continuant à acheter ses bons du Trésor, ce qui garantit du même coup un libre accès de ses exportations au vaste marché américain. Cette interdépendance obligée entre les deux géants a eu une traduction hautement symbolique : depuis juillet dernier, les rencontres biannuelles entre les dirigeants des deux pays ne s’appellent plus « dialogue économique stratégique », mais « dialogue et économique et stratégique ». Cette adjonction du « et » ne fait d’ailleurs que formaliser un état de fait que certains observateurs, allant cependant un peu vite en besogne, n’ont pas craint de qualifier de « Chinamérique ».
Dans le cadre de ce partenariat stratégique, où chacun n’en pense évidemment pas moins, des escarmouches sont inévitables. Et, à cet égard, Barak Obama a les mains beaucoup moins libres que la direction chinoise : il est soumis à de fortes pressions, tant des syndicats que de certains secteurs industriels pour lesquels l’explosion des importations de produits chinois équivaut à la cessation d’activités. C’est notamment le cas des producteurs de pneumatiques. Entre 2004 et 2008, les importations de pneus chinois ont augmenté de 215 %, cependant que la production américaine chutait de 27 %, entraînant la disparition de 5 000 emplois. D’où la décision de la Maison Blanche, en date du 17 septembre, de suivre les recommandations d’une structure bipartisane indépendante, la « US international Trade Commission » qui préconisait un relèvement des droits de douane sur les importations de pneumatiques chinois. Ces tarifs seront de 35 % la première année, de 30 % la deuxième et de 25 % la troisième.
Pékin a immédiatement poussé des cris d’orfraie en fustigeant ces mesures « protectionnistes » et en engageant, en guise de représailles, des enquêtes anti-dumping sur les pièces de rechange automobiles et les volailles américaines. Et cette mini-guerre commerciale a trouvé un écho chez les défenseurs inconditionnels du libre-échange, y compris aux Etats-Unis. Ils s’interrogent gravement sur le fait de savoir si Obama est ou non « protectionniste », péché passible d’excommunication majeure pour des ultralibéraux qui ne démordent pas des théories, datant de deux siècles, de David Ricardo (1772-1823).
La véritable question serait plutôt de savoir si le libre-échange intégral est possible avec un pays qui maintient sa monnaie à un taux artificiellement bas, dont les coûts salariaux sont dix à vingt fois moindres qu’aux Etats-Unis ou en Europe, et dont la politique industrielle obéit non pas aux lois du marché et à la « concurrence libre et non faussée » (traité de Lisbonne), mais bien à des intérêts d’Etat. Que pensent-ils, entre autres, de l’obligation de réexporter la totalité de leur production que les autorités chinoises imposent à certains investisseurs ? C’est ce qui s’est notamment passé pour la société de pneumatiques américaine Cooper Tires…
Bernard CASSEN, Professeur émérite- Université Paris 8