Se doute-t-on que l’histoire du mot talent, « aptitude particulière et remarquable », est liée à l’économie ?
Très courant en ancien français, ce mot, jusqu’au XVIe siècle, a désigné le désir. On disait en faire à son talent pour « agir à sa guise » ; on atalentait la personne aimée, ce qui est charmant.
Il est issu du latin talentum, qui désigne une masse métallique, un poids, et provient lui-même du grec talanton, le plateau de la balance. Ce poids fait pencher le plateau ; talent signifie donc proprement l’inclination.
D’où vient le sens moderne, tout autre ? Il faut supposer une histoire assez curieuse. Le mot talentum, poids, désignait aussi une masse d’argent et par suite une monnaie : le talent. Il était utilisé par le latin d’Église à propos de la fameuse parabole évangélique des talents. Un maître parti en voyage a confié des talents à ses trois serviteurs. L’un, par prudence, les a cachés en terre ; les deux autres les ont fait fructifier : ce sont « les bons serviteurs », que le maître félicite à son retour. Cette apologie du capitalisme naissant fut si souvent racontée au Moyen Âge que talentum, et par suite le français talent, prirent le sens de « ce que la nature vous a confié et que vous avez su développer ». On se mit à dire : savoir employer son talent. En d’autres termes ses dons et aptitudes naturelles.
C’est donc un récit évangélique qui a changé du tout au tout la signification du mot talent. Le sens monétaire, accompagné d’une conception dynamique (et féconde) de l’investissement et de son appréciation morale, est devenu hégémonique. Ce talent, si j’ose dire, a fait fortune