L’attribution du prix Nobel de la paix à Barack Obama a un caractère quelque peu insolite, malgré la sympathie dont bénéficie personnellement le nouveau président des Etats-Unis dans les opinions publiques de la quasi totalité des pays du monde. D’ordinaire, une haute distinction internationale, que ce soit la médaille Fields pour les mathématiques, le prix Nobel de médecine ou le prix Nobel de la paix sanctionne une œuvre accomplie et reconnue. Dans le cas d’Obama, rien de tel, et pour cause : en moins d’un an d’exercice du pouvoir, il n’a matériellement pas eu le temps de faire aboutir l’un quelconque des immenses chantiers qui sont devant lui. Son prix Nobel est donc une récompense anticipée pour la réalisation de grands travaux qui, pour l’heure, en sont essentiellement au stade du discours et des déclarations d’intention.
On dira à juste titre que le verbe est déjà de l’action, qu’il n’est pas négligeable que les Etats-Unis se prononcent en faveur d’une approche multilatérale pour régler les affaires du monde, qu’ils préconisent le désarmement nucléaire et qu’ils tendent la main à l’islam, au lieu de l’appréhender à travers le prisme de la « lutte contre le terrorisme », marque de fabrique des années Bush. A lui seul, ce nouveau balisage de la scène mondiale peut faire bouger les lignes géopolitiques et désamorcer ou au moins freiner des processus de confrontation. Ce n’est déjà pas si mal.
Il faut cependant se garder de l’illusion que le président des Etats-Unis aurait les mains libres pour agir. Il doit en particulier composer avec l’énorme puissance de lobbies qui font la pluie et le beau temps au Congrès, et avec des secteurs de l’administration – en premier lieu le Pentagone – qui ont leur politique propre, parfois en opposition à celle d’autres secteurs. La Maison Blanche est loin d’être le seul centre du pouvoir à Washington. D’où des signaux contradictoires donnés à l’opinion internationale. Ainsi, au moment où est annoncé le renoncement au « bouclier » anti-missiles en République tchèque et en Pologne, vécu comme une provocation par la Russie, est confirmée l’installation de sept nouvelles bases militaires américaines en Colombie. Or la quasi totalité des pays d’Amérique du Sud, et tout particulièrement le Brésil, voient dans ce renforcement de la présence armée des Etats-Unis dans la région une atteinte directe à leur souveraineté.
Autre exemple d’inconséquence : alors que, dans son très habile discours d’acceptation de la décision du comité Nobel, Barack Obama évoque « la menace grandissante représentée par le changement climatique », ses négociateurs, contrairement à ceux de l’Union européenne, se refusent pour l’instant à prendre le moindre engagement contraignant sur le volume des émissions de gaz à effet de serre. Au risque de faire échouer la conférence de Copenhague convoquée en décembre prochain. Le Proche-Orient ne fait pas exception à ces contradictions : le président peut bien évoquer « les droits de tous les Israéliens et Palestiniens à vivre dans la paix et la sécurité dans des pays à eux », son envoyé spécial dans la région , George Mitchell, est bien incapable d’obtenir du gouvernement Netanyahou ne serait-ce que le gel des colonisations israéliennes en Cisjordanie. Les autorités de Jérusalem savent parfaitement que l’administration Obama n’a pas, aux Etats-Unis, la marge de manoeuvre politique suffisante pour exercer la pression qui les ferait plier.
Au niveau international, le prix Nobel de la paix renforce certainement la main de Barack Obama, mais il en faudra beaucoup plus pour que le président soit en mesure de passer de la parole aux actes.
Bernard CASSEN, Professeur émérite- Université Paris 8