Langue française

Pérenne

La langue des affaires a ses modes, elle aussi. Depuis quelque temps, elle utilise beaucoup l’adjectif pérenne : on parle d’un investissement ou d’un contrat pérenne.
Cet adjectif étrange (il a au masculin une forme de féminin) se rencontre pour la première fois chez Montaigne. Dans ses Essais, celui-ci parle du monde comme d’une branloire  pérenne, c’est-à-dire comme une agitation perpétuelle.
Montaigne a emprunté cet adjectif au latin perennis, lui-même est issu de per + annus « qui dure toute l’année ».

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Langue française

Agenda

Purisme, sans doute. Mais je n’aime pas l’usage qui se répand en français contemporain (monde des affaires comme univers politique) du mot agenda.
Pour vous comme pour moi, un agenda est un calepin consacrant une page à chaque jour, et sur lequel on note ses rendez-vous (en Suisse, depuis longtemps, on les agende ; telle réunion est agendée pour le 3 juin). D’où les locutions : agenda de poche ou de bureau, agenda électronique, etc.
Or on lit et on entend, par exemple, que le secrétaire général des Nations unies s’est fixé un nouvel agenda, ou que telle réforme ne figure pas présentement à l’agenda du gouvernement.
C’est un pur anglicisme. Le mot agenda signifie en anglais « ordre du jour », et par suite « programme, projet » ; de façon générale il désigne ce que l’on a l’intention ou l’obligation de faire.
Les mots français et anglais proviennent du latin agenda, gérondif neutre pluriel du verbe agere, « agir » ; agenda signifie « les choses que l’on doit faire ».
Comme on le voit, le sens anglais est proche de la signification latine ; il lui est même très fidèle. Utiliser le français agenda pour désigner les actions que l’on doit conduire est donc un ressourcement latin de ce mot ; on pourrait par suite accepter cette évolution d’emploi du mot agenda.
Mais c’est un anglicisme.
Et je n’en démordrai pas : un agenda (de papier ou numérique) se trouve dans la poche, pas dans les discours.

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Langue française

Quatre-vingt-treize, l’année terrible. Et le nombre, donc !

J’ai accoutumé de demander à mes étudiants s’initiant à la linguistique quelle est cette curieuse langue qui emploie tour à tour les numérations décimale, vicésimale et un mélange des deux.
C’est bien sûr le français ! Dont Rivarol eut bien tort de vanter l’absolue clarté.
Curieuse langue, en effet, qui utilise la numération décimale (par 10 : 10, 20, 30, 40, 50, 60), vicésimale (par 20 : quatre-vingts), et un mélange des deux (quatre-vingt-dix).
L’emploi de la numération vicésimale est dû, pense-t-on, à une influence gauloise : nos « ancêtres les gaulois » comptaient par vingt. Il est de fait que cet usage était des plus fréquents dans l’ancienne langue, où l’on relevait six-vingts, sept-vingts, hui-vingts. En 1260 Saint-Louis fonda un hôpital pour trois cents chevaliers revenus aveugles de la croisade : c’est l’hôpital parisien des Quinze-vingts.
Le maintien partiel de cet usage ancien en français moderne présente un double défaut. L’expression d’abord est lourde et malcommode : quatre-vingt-treize. On comprend que les jeunes de la Seine-Saint-Denis parlent du 9-3 !
La formulation, ensuite, est ambiguë : si vous dictez à une personne soixante-quinze, elle commencera par écrire un 6, qu’il lui faudra corriger aussitôt.
En Belgique, on dit naturellement septante et nonante ; on entend également octante (huitante en Suisse).
C’est un emploi cohérent et naturel de la numération décimale : dix, vingt, trente, quarante, cinquante, soixante, septante, octante, nonante, cent. Les Français auraient tout intérêt, je crois, à délaisser leurs (mythiques) origines gauloises au profit de le leur (très réel) avenir francophone : qu’ils adoptent résolument une telle numérotation !

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Langue française

Un emploi inopportun d’opportunité

L’emploi du mot opportunité au sens d’« occasion » est devenu courant, notamment dans la langue des affaires ; il est néanmoins regrettable.En latin, l’adjectif opportunus, formé sur ob (vers) et portus (le port) qualifiait le vent. Il désignait un vent qui vous pousse vers le port, et est donc particulièrement favorable et utile.
Au XIVe siècle, le français a calqué sur le latin opportunus l’adjectif opportun, qui signifie: « ce qui est bienvenu, favorable, et qui convient ».
Ont dit depuis : il est opportun, ou peu opportun, de prendre une décision ; telle action fut faite en temps opportun.
À partir de cet adjectif on a dérivé l’adverbe opportunément (arriver fort opportunément), le substantif opportuniste (celui qui, généralement en politique, cherche l’occasion favorable), et surtout le substantif opportunité. Ce dernier mot signifie: « caractère de ce qui est opportun », et plus généralement « occasion favorable ».
C’est bien ce sens de faveur qui spécifie le mot opportunité. Il est par là synonyme d’à propos ou de convenance. On juge de l’opportunité d’une action, on a le sens de l’opportunité (on sait d’instinct ce qu’il convient de faire).
Toutefois, sous l’influence de l’anglais opportunity dont la signification est générale, opportunité devient synonyme d’une simple occasion : j’ai l’opportunité de partir dès demain.
C’est perdre le lien avec l’adjectif opportun que, pour ma part je sens encore très fortement dans opportunité.
Au sens ordinaire, pourquoi ne pas utiliser tout simplement possibilité, perspective, occasion ? Sauvegardons la spécificité du mot opportunité : cela me semble très opportun.

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Courriel

Pour désigner un message électronique, si vous souhaitez éviter l’anglais e-mail, plusieurs possibilités s’offrent à vous.

Message ou courrier électroniques sont possibles, mais est un peu lourds.

On entend beaucoup une adaptation du terme anglais, par chute du préfixe et prononciation plus ou moins française : un mail. « J’ai eu ton mail ! ».

Que faut-il en penser ? Plutôt du bien, pour des raisons historiques. Le mot anglais mail, « courrier », provient de l’ancien français malle, qui désignait un sac de cuir ; aujourd’hui, c’est plutôt un coffre de bois ou de fer. Ce sac de cuir servait principalement à transporter des lettres ; pensons à la malle- poste, voiture postale pouvant accueillir quelques voyageurs ; quant à la malle des Indes des romans et des films, c’était tout simplement le service régulier de courrier entre l’Europe et l’Inde. Adopter le terme mail pour désigner un courrier électronique, revient donc à reprendre à la langue anglaise ce qu’elle nous a emprunté. Une fois de plus…

Cette adaptation, toutefois, est phonétiquement délicate ; faut-il prononcer : /mèl / ou /mèyl / ?

C’est pourquoi je recommande cette splendide invention québécoise : le courriel.

Le terme présente tous les avantages : il est transparent (courrier électronique), il met en œuvre le suffixe –iel, désormais régulier en informatique (logiciel, progiciel, didacticiel), il permet de former, pourquoi pas, le verbe courrieller (« Je te courrielle cela dès que possible »). Enfin, il rend imaginatif. Afin de traduire l’anglais spam, qui désigne un message électronique commercial non désiré, (et qui vous arrive en rafale, comme la vieille publicité pour le jambon en boîte Spam), quelqu’un a inventé le superbe pourriel : c’est un courriel pourri. Rendons hommage à cet inventeur anonyme ; il illustre joliment la vitalité du français Et courriellons avec ardeur !

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